Label rouge
Chroniques marocaines /6/
Avez-vous déjà mis les pieds dans le marché d'un mellah? Et bien ce n'est pas triste. Dans des ruelles alambiquées s'entassent légumes, épices, olives, poissons et... poulets! Vivants, évidemment. Dans les cages, sous les étals, des poulets, blancs, piaillent, se battent, s'ébattent. Quel remue-ménage! Ici, les poulets, on les pèse vivants, on les égorge devant vos yeux, puis on les plume, saigne, vide en direct! Ceci est une preuve de la fraîcheur de la viande, certes, mais pas du client! L'odeur des parages vous retourne l'estomac, vous pâlissez à vue d'œil, vous tentez vainement de couvrir votre nez avec une manche ou un coin d'écharpe. La fuite est impossible: devant, un groupes de femmes qui discutent le prix de la semoule, derrière, des salades, des tomates, des courgettes, des grenades... sur les côtés, dés poulets, des carcasses de bœuf. Heureusement, le guide a ouvert la voie, la fuite est rendue possible, vous échappez aux vapeurs pestilentielles.
Le monde est petit
Chroniques marocaines /5/
Nous sommes à Fès et faisons le tour des remparts en
taxi. Celui-ci nous pose à un endroit pour que nous puissions
admirer la médina et ses extensions. Nous avançons en
bavardant avec le guide. Je prépare mon appareil photo.
- Laure! Laure!
Tiens, quelqu'un dans le groupe de touristes que nous croisons porte
le même nom que moi...
- Laure!
Je me retourne sur une exclamation de ma mère. Et qui vois-je
là, en plein soleil, en plein Maroc? Ma prof de philo de l'an
dernier! Si si, je vous promets! Elle s'avance pour me serrer la
main. Et qui vois-je à côté d'elle? Ma prof de
français, de première. Encore à côté,
ma prof de maths, de première aussi. Une tête frisée
s'avance en regardant le ciel, ne s'étant aperçu de
rien.
- Catherine! Regarde qui est là!
Et voilà ma prof d'histoire des deux dernières années
qui ouvre de grands yeux.
- Je connais cette jeune fille... C'est la prof d'allemand des
prépas, que j'ai déjà rencontrée l'an
dernier lors des portes ouvertes.
Puis nous nous quittons après quelques mots. Apparemment, ce
grand groupe comptait l'Amicale des professeurs du lycée...
Mais cette histoire ne s'arrête pas là: plus tard dans
l'après-midi, je retombe sur le même groupe, dans la
médina la plus labyrinthique du monde arabe! Et j'y découvre
ma prof d'arts-plastiques, que je n'avais pas vue le matin...
Cette histoire est peut-être incroyable, mais elle n'en est pas moins véridique. Je vous laisse imaginer ma stupeur, quand je les ai croisées pour la première fois! J'étais complètement déconnectée de la réalité, si bien que j'ai à peine réagi...
Un jour...
Ποίημα συμποτικόν·
(poïêma sumpotikon: « poème concernant les festins »)
Chroniques marocaines /4/
La nuit est tombée sur Fès
et les lampes s'allument dans le patio du Riad Shéhérazade.
Une cour pavée de mosaïques bleues et blanches. Les
petits carreaux de céramique émaillée montent
sur les mur, nous dépassant d'une bonne tête. Puis le
mur continue de monter sur plusieurs mètres, habillé du
seul crépis. Le stuc ciselé orne les pourtours des
fenêtres et des portes en bois de cèdre. D'un côté,
une piscine à l'eau translucide et immobile, autour de
laquelle se balancent quelques palmiers immenses au pied noyé
dans les fleurs et les feuillages. Au fond, derrière la
piscine, un bâtiment en bois, entièrement vitré,
sert de salle pour les repas en temps de pluie. Et tout autour, des
arcades. Des portes de dentelle de bois s'ouvrent sur des chambres.
Au centre, une petite fontaine laisse entendre discrètement
l'écoulement de son eau; les pétales de rose se
bousculent sur les bords de la vasque. Sur les tables, sur le sol, un
peu partout, des bougies se sont allumées. La douce mélodie
d'un luth s'échappe d'un coin.
Les entrées arrivent:
treize petites assiettes, contenant chacune ou une salade typiquement
marocaines ou une spécialité du chef, plutôt
innovateur. Ainsi, les pois chiches en vinaigrette côtoient les
courgettes confites au miel et les carottes à la coriandre
flirtent avec les aubergines au poivron. A côté
s'égrainent les notes vaporeuses du luthiste. Puis, l'estomac
déjà bien rempli, nous attendons le plat principal:
couscous aux fruits. Un tajine immense pour trois, empli de semoule
où se languissent pommes, poires, clémentines,
raisins... sur lesquels trônent trois cailles rôties. Un
vrai festin! Nous achevons sur une touche de douceur: pastilla
à la crème... L'arôme de la cannelle emplit peu à
peu la bouche, caresse le palais avant de disparaître tout en
laissant un arrière-goût de Maroc...
Quel souk!
Chroniques marocaines /3/
Une débauche de couleurs et de senteurs apparaît soudain au détour d'une ruelle étroite: nous entrons dans le souk de la médina. Des échoppes minuscules se bousculent le long de ses rues, débordant de foulards, de babouches, d'épices, de djellabas, de bijoux, de pâtisseries et de fruits secs. Vous restez une minute à observer un article qui vous plaît? Bien mal vous en a pris: le marchand vous accoste et vous lance un ''c'est pas cher!'' souriant et rempli d'espoir. Si vous refusez d'entrer, il vous annonce que si vous n'achetez pas, ça ne coûte rien d'entrer ''et ça fait plaisir''. Si vous avez fini par craquer, vous commencez à marchander âprement. Repartez content et le bonhomme vous saluera avec un ''si ça gagne pas, ça débarrasse''. Un climat bon enfant règne dans ces ruelles bondées de monde: touristes en short, débardeur et sandales, Marocains en jean et anorak ou en djellaba et babouches, femmes voilées ou non. Diversité est le maître mot de ce patchwork. De temps en temps, il faut se coller au mur pour laisser passer un âne, se décaler pour éviter de se faire écraser les pieds par une pétrolette fumante. Mais c'est toujours avec allégresse que vous rentrez à l'hôtel, tout content de votre ballade au coeur de la vieille ville.
Quand y en n'a plus, y en a encore!
Chroniques marocaines /2/
Voici venu le jour de faire le trajet Fès – Marrakech en taxi: 500 km, 9h de route! Évidemment, j'en ai profité pour dormir tout mon saoul, mais ça n'a pas suffit à occuper tout ce temps. Alors j'ai observé aux alentours. Des collines arides, flanquées de quelques oliviers. Puis un reg, désert de pierres. Plat, entre beige et ocre, à des lieues à la ronde. Puis des montages, hautes, coiffées de nuages. Puis une forêt de cèdres. Un pan de colline enclos car il s'agit de la piste de ski réservée au roi. Certes ceci est bien beau, mais serait lassant s'il n'y avait pas sans cesse le même détail qui revenait. Où que l'on soit, même en plein milieu de ce reg, on croise une voiture, une moto, on double un âne, un vélo. Sur le bord de la route, le berger regarde vaguement ses trois moutons brouter les rares touffes d'herbe du terrain, à l'ombre d'un panneau publicitaire sorti d'on ne sait où. Plus loin, c'est un homme en djellaba qui rentre chez lui, derrière les rochers, dans un village perdu au milieu de nulle part, assis sur son âne. Plus loin encore, ce sont deux femmes qui marchent: on ne sait d'où elles viennent ni où elles vont; il semble n'y avoir rien. Ailleurs, c'est un groupe de gamins qui rentrent de l'école en gambadant au milieu des pierres de ce désert. Là, une chèvre traverse, on manque de l'écraser. Ici, une ferme: il faut attendre que les poulets aient fini de traverser pour passer. Puis des champs: un paysan laboure. La charrue, digne des enluminures reproduites dans nos livres d'histoire, attelée, étrange association, à un dromadaire et un mulet! Et partout le long des routes, des gens qui guettent les taxis, font du stop. Bref, même quand on pense être perdu en plein désert, alors même là vous trouvez quelqu'un qui vit. Mais comment font-ils???
Celui qui conduit, c'est celui qui n'a pas peur!
Chroniques marocaines /1/
A notre arrivée à l'aéroport de Fès, le premier jour de notre voyage, c'est un ''grand taxi'' qui vient nous chercher. Mais qu'est-ce qu'un ''grand taxi''? C'est une Mercedes, de couleur différente selon la ville dans laquelle circule ledit taxi, d'un modèle plus ou moins ancien, fumant plus ou moins noir, bref, une voiture cinq places comme nous en voyons tous les jours. Mais alors pourquoi ''grand''? Parce qu'il peut transporter officiellement six voyageurs! Plus le chauffeur, cela va sans dire. Deux à l'avant (un sur les genoux de l'autre ou presque) et quatre à l'arrière. De plus, les taxis sont comme des bus: les gens s'y entassent, qu'ils se connaissent ou non. Et s'il y a des ''grands taxis'', c'est qu'il y en a aussi des ''petits''. Alors, ce sont des voitures plus petites qui contiennent trois passagers (voilà qui est plus raisonnable), qui fument autant que les grands et qui ne peuvent sortir du centre-ville. Mais revenons à nos moutons.
Nous montons donc dans le taxi et rejoignons le centre de Fès. N'y allez pas si vous êtes cardiaque! Les rues sont larges et ne le sont pas pour rien! Sur deux voies, celle de droite est réservée aux ânes, aux carrioles à cheval, aux vélos et aux mobylettes (qui fument encore plus noir que les taxis). Tous se doublent en un joyeux ballet. Sur la voie de gauche, ce sont les taxis, les voitures, les bus qui se doublent gaiement, mordant avec conviction la double ligne blanche du milieu, débordant allègrement dans la voie d'en face et le tout avec un calme affolant. Le feu est rouge. Si un klaxon retentit, c'est que le feu des autres est passé au rouge et que donc on peut partir même si notre feu est encore rouge... (Je me comprends. Et vous?) A ce remue-ménage, ajoutez une foule de piétons inattentifs, qui traversent partout sauf sur les passages piétons (qui ne sont d'ailleurs pas respectés), qui ne regardent pas ou alors regardent mais passent quand même. Je vous jure qu'au début ça fait peur! Après, vous faites confiance au chauffeur, vous êtes gagné par la langueur orientale et vous laissez couler.
''On partage la route'' a dit assez justement un des chauffeurs. Résultat: très peu d'accrochages en général (aucun en ce qui nous concerne). Mais ne vous y aventurez que si vous aimez le risque et le jeu!
Fin d'un rêve
Ce matin, je sortais ma chambre d'hôtel en débardeur. Je traînai mes babouches jusqu'à la salle de petit-déjeuner, en passant les jardins plantés de palmiers. Je traversai le hall d'entrée où chante une fontaine; le marbre luit dans la lumière éclatante du matin. Deux heures plus tard, un porteur mettait nos sacs alourdis dans le coffre de la Mercedes, le taxi qui nous emmena à l'aéroport. Une dernière fois, nous louvoyâmes au milieu des camionnettes fumantes, des ânes efflanqués, des piétons impassibles. Puis nous entrâmes dans la cohue de l'aéroport de Marrakech-la Ménara. Il faisait chaud. Très chaud.
Trois heures de vol. Nous atterrissons. Nous sortons de l'avion. Et là, le froid me saisit. Sur la passerelle, je voie les nuages de vapeur s'échapper des souffles des autres passagers. Le brouillard nous enveloppe d'un cocon bienveillant. Mais il fait froid. Je sens les 25° de différence... Les vacances sont finies, demain, à cette heure, je serai en cours. Je commence à me rendre compte que je n'ai pas assez travaillé. Mais comment voulez-vous travailler dans un pays comme le Maroc? Ce n'est pas humainement possible et I'm only flesh and blood...