Mort sanglante
"(...)
Ecce alia monstra: celsa qua Tenedos mare
dorso repleuit, tumida consurgunt freta
undaque resultat scissa tranquillo minor,
qualis silenti nocte remorum sonus
longe refertur, cum premunt classes mare
pulsumque marmor abiete imposita gemit.
Respicimus: angues orbibus geminis ferunt
ad saxa fluctus, tumida quorum pectora
rates ut altae lateribus spumas agunt.
Dat cauda sonitum, liberae ponto iubae
consentiunt luminibus, fulmineum iubar
incendit aequor sibilisque undae tremunt.
Stupuere mentes. Infulis stabant sacri
Phrygioque cultu gemina nati pignora
Lauconte. Quos repente tergoribus ligant
angues corusci. Paruulas illi manus
ad ora referunt, neuter auxilio sibi,
uterque fratri; transtulit pietas uices
morsque ipsa miseros mutuo perdit metu.
Accumulat ecce liberum funus parens,
infirmus auxiliator. Inuadunt uirum
iam morte pasti membraque ad terram trahunt.
Iacet sacerdos inter aras uictima
terramque plangit. Sic profanatis sacris
peritura Troia perdidit primum deos. (...)"
(Pétrone, Satiricon, LXXXIX)
Après deux heures passées à la traduction de Lucrèce avec commentaire grammatical et à des exercices de thème sur le système hypothétique, me voilà partie à la bibliothèque. J'ai une préparation à faire pour dans l'après-midi, et du pain sur la planche.
Des vers. Plus de soixante vers. J'ai
trois heures. Vaillamment, je m'attaque à Pétrone, et à
son récit de la prise de Troie. Au début, je me dis que
ça va aller, puis au fur et à mesure de ma progression
je me dis que non. Je rame. Les mots sont tous ambigus et les phrases
alambiquées. C'est maniéré, précieux,
presque trop rococo.
Le cheval, la traîtrise de
Sinon. Bon. D'accord. Laocoon arrive. Je dresse l'oreille. J'ai
parfois l'impression de traduire du Virgile en concentré. Il
n'y a pas de doute, l'arrivée des angues orbibus geminis
nous prépare à la mort du Neptuno sacer.
Et je souris, repensant à cette soirée, sur la plage de
Chypre, où nous avions fait une reconstitution de cet épisode
fameux. Et je jubile en repensant au texte de Virgile, si beau!
Dans la journée, j'ai donc passé cinq heures sur ce bout de poème: trois en préparation (que je n'ai d'ailleurs pas terminée, parce que soixante vers, c'est beaucoup) et deux en cours. Ma foi, des journées comme celle-là, pourquoi pas?
Topographie de l'irréel
Avez-vous déjà imaginé un endroit dont vous ignoriez absolument tout?
Il y a fort longtemps, j'entendis parler pour la première fois de la Suisse. Le Suisse, quand vous n'êtes pas plus haut que trois pommes à genoux, ça ne ressemble pas à un pays montagneux.
À mes yeux, c'était un grand royaume, plat comme la paume de ma main quand j'étirais mes doigts. C'était aussi un désert de sable, sans fin. Des touristes en bermuda, appareil photo autour du cou, allaient et venaient suivant une ligne droite. En face, deux dunes. Sur chacune des dunes, je vous le donne en mille, un petit suisse à la framboise! Ainsi, le roi de Suisse trônait sur un couple de petits suisses roses gigantesques, seuls bâtiments du pays. Les habitants? Il n'y en avait pas. Que ces touristes. Et le ciel bleu, infiniment grand, sans un nuage. Et le désert à perte de vue, de sable ocre jaune.
C'était la Suisse.
Schizophrénie
Depuis la rentrée, j'ai lu. Oui, lu! Et vous savez quoi? Ça ne m'était pas arrivé depuis plus de trois ans. Lire le soir, sous sa couette, et rester éveillée, tenue en haleine par une histoire. Oui, une histoire. Pas un cours, pas une analyse littéraire, pas une lecture sérieuse. Une histoire. Un récit qui nous transporte dans un monde qui, s'il n'est pas meilleur, au moins fait rêver. Pour moi, un bon livre nous fait oublier notre vie maussade et les problèmes de métro. Il faut que derrière mes yeux je voie défiler un film, et que ce film me plaise. Un bon livre est un bon film. Je visualise. Et je rêve. Trop de réaliste glauque décrivant la misère du monde, ça peut être très beau, pour moi ça n'a qu'un intérêt limité. Ça ne me fait pas rêver. Au contraire même, ça m'angoisse.
Je
disais, donc j'ai lu
Je disais donc, j'ai lu (de l'importance de la ponctuation). Qu'ai-je
lu? Oh, un peu de tout! Des romans antiques, un roman médiéval,
avec des voyages et de la magie: tout pour me plaire! Quelques
policiers historiques, avec une petite romance dissimulée
entre deux meurtres. Macbeth,
qui m'a rapidement déçue: un personnage principal aussi
pleutre ne devrait pas avoir le droit d'exister! Des mangas et des BD
par dizaines. Des romans pour midinette de treize ans, mais très
bien écrits. Quelques fics aussi, pour ne pas rouiller ^^
Harry Potter 7, of course! Comment l'oublier? J'ai même lu un
livre ''sérieux'' – Verlaine d'ardoises et de
pluie, d'une poésie
extraordinaire.
Et dernièrement (c'est-à-dire cette semaine), j'ai lu un roman classé « junior ». Et là, je me suis rendue compte que, malgré ma vision un peu naïve de la littérature, j'avais grandi. Parce que pour moi, aucun roman de sorcellerie de vaut Harry Potter. Là, je n'ai lu qu'une série de clichés, une intrigue cousue de fil blanc (je n'avais pas commencé le tome 3 – et dernier – que je savais qui était le père du héros, qui a d'ailleurs les yeux verts – toute ressemblance avec un autre personnage est fortuite), der personnages sans profondeur. Bref, la déception fut totale. Malgré tout, à la dernière page, quand j'appris que le héros avait perdu sa magie, l'âme de la lectrice que j'étais à six ans fut déçue: ça ne finissait pas si bien. Je ne sais pas vous, mais moi j'ai encore au fond de moi un bout d'âme qui aime quand ça finit bien, totalement et sans condition, ce même petit bout d'âme qui hurlait en voyant que le mariage dans La Petite Sirène avait lieu sur un bateau, et qu'il n'y avait pas de carrosse, comme c'est la tradition dans les dessins animés. Par contre, mon âme (à peine) plus âgée se réjouit en voyant là, enfin – après trois tomes il était temps! – une tentative de pseudo-originalité, ou alors de sortie des sentiers cousus de fil blanc.
Entre tradition confortable et plaisir de ne pas se torturer l'esprit (je crois que c'est encore une question de paresse), recherche de l'originalité absolue et plaisir de lire une histoire triste, mais belle à pleurer, j'ai parfois l'impression d'être deux dans mon esprit.
Air Frousse
Un coup de téléphone m'attendait depuis plusieurs jours déjà: je devais régler un petit problème avec Air France. Mais les quelques mots imprimés semblaient dire « ce n'est pas la peine de te presser, tu as tout ton temps ». Qu'auriez-vous pensé de « votre billet n'a pas été émis, veuillez contacter le 08*** pour finaliser la réservation et l'achat de votre billet », et juste en-dessous, en rouge, un « état de votre réservation: confirmée »?
Donc j'appelle. Je poireaute dix minutes avec la musique exaspérante et la boîte vocale qui bloque sur « un agent va vous répondre ». Je commence, lentement mais sûrement, à perdre patience. Puis, enfin, quelqu'un répond. Je pose le problème: je ne parviens pas à accéder à mon dossier sur le net, que se passe-t-il. « Mais Madame (oui, je suis une jeune majeure de moins de 24 ans, comme indiquée sur mon dossier, mais je m'appelle Madame!) votre réservation a été annulée. »
...
Blanc. Trou. Absence. « Comment cela? - Ben oui, la banque a refusé votre paiement. » Ahahah! Ils sont comiques chez Air France! C'est que ça ne leur viendrait pas à l'idée de préciser qu'il faut appeler AVANT 24 HEURES, parce que c'est votre numéro de carte qui n'est pas passé! Non, non, au lieu de ça, ils vous enrobent le tout dans une jolie phrase qui vous dit de ne pas vous inquiéter. Et moi j'appelle comme une fleur, une semaine plus tard.
Désespérée, je décline tout nouvel achat par téléphone. Puis je retourne faire mes recherches fébrilement. Tentative d'appel désespéré à Melendili. Pas de réponse. Je rappelle. Encore. Et encore.
Finalement, tout s'est arrangé à 22h40. J'ai une facture, pas de phrase rassurante, et même les informations concernant les billets électroniques! Plus de peur que de mal, mais je les retiens chez Air France.
Moralité: appeler la banque et demander une autorisation de découvert, parce que les virements internet ne sont pris en compte que deux jours après.