Couvertures de cuir et papiers oubliés
La voix du métro annonce que le trafic est interrompu sur ma ligne, dans ma direction, et juste sur le tronçon qui m'intéresse. Résignée, je m'apprête à rentrer à pied, quand mon cerveau me souffle que je pourrais peut-être prendre le bus. Sitôt dit, sitôt fait, me voilà à battre la semelle dans la foule qui a eu la même idée que mon cerveau.
Prise d'une inspiration subite autant qu'irréfléchie – le propre de l'inspiration, dirai-je – je descend un arrêt plus tôt et m'en vais fureter au Marché du livre ancien et d'occasion. Coup de chance, c'est le week-end de la grande braderie. Une affichette annonce les livres à 1€, à 2€, une autre s'exclame « 5€ le kilo » et derrière, les livres s'alignent, ou s'entassent, c'est selon.
Sous la halle, le bruit des badauds est assourdi, comme avalé par toute cette quantité de papier. Livres de poche décrépis, livres presque neufs, sans doute des invendus, vieux exemplaires de journaux d'un autre siècle, bandes dessinés et comics, et surtout, ce qui m'hypnotise complètement, ces vieux volumes reliés cuir, dorés, aux couleurs fanées et aux tranches fatiguées, ces livres que j'ose à peine caresser du bout des doigts, tant est grande la peur qu'ils tombent en poussière au moindre contact.
Mes yeux errent sur ces bibliothèques nomades, ces reliquats de librairies d'un autre temps, ces extraits d'un salon de l'aristocratie du siècle passé. Et je rêve à une bibliothèque courant sur les murs d'un grand bureau, murs blancs, moulures, petite cheminée parisienne, grande fenêtre, bibliothèque aux reflets mordorés de ces volumes au cuir rendu souple par l'usage, chaleur de ces bruns, de ces rouges, de ces verts. Auteurs inconnus et oubliés, ouvrages sans intérêt autre qu'esthétique.
J'ai commencé ma collection avec Cornélie, ou le latin sans pleurs et Eulalie, ou le grec sans larmes, deux petits livres cocasses aux dorures attrayantes et aux titres irrésistibles.