Rien ne nous survivra. Le pire est avenir.
Rien ne nous survivra fait l'effet d'un coup de matraque sauvagement asséné sur le crâne. J'avais lu le tout début il y a près de deux semaines, et, gênée par l'alternance des points de vue à la première personne ainsi que par la violence qui se dégageait des premières pages, j'avais mis le roman de côté. Finalement, mon retour de Caen hier aura eu raison de mes réticences. En deux soirs, j'ai littéralement dévoré les quelques centaines de pages du livre de Maïa Mazaurette (qui est, paraît-il, connue, mais que je ne cite que pour conserver l'équilibre et le rythme de ma phrase).
Le contexte est simple : les jeunes se sont révoltés, et ont décidé d'éradiquer les vieux. Ainsi, le roman commence deux ans après le début de la révolte ; la guérilla des jeunes a détruit Paris, les vieux campent sur leurs positions au Nord et les jeunes ont pris possession de la Rive Gauche. La limite d'âge : vingt-cinq ans.
Je viens de lire quatre ou cinq critiques et commentaires sur ce livre, et tous abordent un point précis du roman, mais jamais le même. L'un s'attarde à débusquer la signification de l’œuvre, l'autre sur la narration, un autre encore sur la relation entre les deux protagonistes. Que l'on soit clair : je n'ai pas cherché la moindre critique de la société dans ce livre. Classé en SF, empiétant sur le territoire du fantastique, je l'ai pris pour une histoire. Horrible, atroce, d'une violence inouïe, certes, mais une histoire quand même.
J'ai fini par m'habituer à la narration en points de vue alternés. Deux personnages, deux snipers, Silence et l'Immortel. Autant vous le dire tout de suite : le sniper rejoint dans mon imaginaire de midinette l'archer. Et pourtant, les deux personnages autant l'un que l'autre sont absolument terrifiants, quand on y pense.
Meurtres, assassinats, raids ; les cadavres s'entassent, les blessures pourrissent, les rats pullulent, la faim et la mort rôdent. Paris est calcinée. On pensait avoir cerné le décors. Puis s'ajoutent aux deux voix, une troisième, impersonnelle, celle de la Théorie. Parce qu'il faut une idéologie à une révolution. Et l'on nous parle des débuts de la révolte. Des parricides en masse. Un certain choc, voire un choc certain, écarquille les yeux du lecteur à ces lignes. Puis la lecture se poursuit.
Ce qui m'a fait tenir ? Le meilleur. Silence. On imagine, sans trop réfléchir, un garçon. Puis le doute s'installe, quand l'Immortel précise que personne ne sait s'il est féminin ou masculin. Ma lecture avance au fil des pages, cherchant l'indice grammatical, le petit accord, qui trahira le sexe de l'énigme Silence. Mais en vain. Et ses relations n'aident guère : amitié qui pourrait être plus avec Vatican, experte en renseignements, et l'obsession amour-haine-désir sadomasochiste que lui voue l'Immortel.
Les courses poursuites dans les bâtiments en ruines, sur les toits, dans les rames désertées du métro ont parfaitement satisfait la midinette qui est en moi, que l'intrigue sentimentale a fini par décevoir. Mais il en fallait plus pour détrôner Silence en mon esprit. La classe incarnée. Malgré les horreurs perpétrées par son bras, ses idéaux le placent au-dessus de la mêlée, qui finit par devenir semblable à ceux qu'il ou elle combattait. Un petit côté Sa Majesté des mouches, qui m'avait bien traumatisée à l'époque.
Pour résumer, un récit qui ne fait pas dans la dentelle, à la démesure de plus en plus folle, au rythme soutenu, dont le style quasi-répétitif lancine autant que les bombes qui tombent sur Paris. Amoral. Cathartique, presque.
PS : les deux photographies sont de Sven Fennema.