Poussière et lumière
Je devais rattraper mes heures, que j'avais mises de côté pour passer une soutenance toute naze et sans intérêt aucun. Je devais y être à dix heures.
A neuf heures tapantes, j'entrais au collège. Une heure d'avance, peu m'importait : pour la première fois depuis bien longtemps, je n'avais aucune obligation. Mardi, j'avais joué les tornades blanches sur le bureau, jeté les trois quarts des paperasses, et fait un tri complet - ou presque - du rayon Orientation.
Aujourd'hui, armée de mes deux mains et du paquet tout neuf de Patafix gentiment cédé par le secrétaire, j'ai refait la déco. Ces murs tout blancs, qui tirent vaguement sur le gris, se sont parés des quelques posters et affiches que j'avais ramenés du Salon du Livre ou que nous avions reçus par courrier. Finis le scotch qui ne tient pas, et les punaises qui plient tant le mur est dur ! J'ai libéré les vitre, laissant entrer la lumière, et caché la grisaille derrière les couleurs.
A chaque section son affiche : affiche du Louvre pour 7.Art, le plan reconstitué d'Olympie pour 9.Histoire-géo, lutte contre le sexisme pour 3.Sciences sociales, la croix qu'on nous a imposée devient utile au-dessus de 2.Religion, et le renard de l'école des loisirs fera l'affaire en 5-6.Sciences (on a tellement peu d'ouvrages spécialisés en sciences que sciences dures et sciences et techniques sont réunies en un seul et même rayonnage). Tout le reste se retrouve au-dessus des romans, plus l'affiche d'Angoulême pour les bandes-dessinées. Il ne manque qu'un philosophe au-dessus du raron 1.
Après ça, j'ai continué le tri et le rangement, avant de reprendre mon travail d'informatisation du fonds. Aujourd'hui, j'ai fini économie, politique et sociologie.
Et j'ai pris le temps de discuter paradoxes temporels avec mes élèves du club BD qui se sont insurgés contre la fin trop ouverte de La Traversée du temps. C'était amusant de voir leur réaction, qui aurait très bien pu être la mienne il y a quelques années. ("C'est nul, il se sont même pas embrassés ! - Y a une suite, hein Madame ? - Mais on sait pas comment ça finit !" J'aime mes élèves, je ne vous l'ai jamais dit ?)
Je suis repartie à l'heure du thé, un peu après même. J'étais bien. Fatiguée, les pieds endoloris, mais je me suis sentie bien comme trop peu souvent ces derniers mois. J'avais laissé mes soucis dans la poussière du CDI et le temps d'une après-midi, j'ai pu oublier angoisses et tensions.
Lundi commence mon stage : je n'aurai plus le temps de m'adonner à ce genre d'occupations saines.