Libera nos a furore Normannorum!
Sans cesse entre rire et larmes depuis quelques jours. Insomnies chroniques, à croire que plus je suis fatiguée, moins je n'arrive à dormir. Bonnes notes en pagaille, c'est trop beau pour durer. Dans ces moments-là, je revois ma treizième place de premier concours blanc, puis la danse du trois, qui prit la tête pour le deuxième. Contentement et appréhension mêlés: cela va-t-il durer? Ma Fortune ne risque-t-elle pas de s'acoquiner avec celle de Lucius et, sinon de me transformer en âne, du moins de me laisser tomber au moment des examens déterminants? Au plus profond de moi, une espèce de nœud. Une envie irrépressible de chocolat, un besoin essentiel de thé, encore et encore. À côté de ça, la réalité de mon corps qui ne supporte plus les nuits de trois heures, mes yeux qui peinent à rester ouverts, la migraine qui menace à longueur de journée telle le fer au-dessus de la nuque de Damoclès.
Quand j'entrevois entre mes doigts écartés la silhouette de deux chiffres dont le rouge agresse ma pupille dilatée, une sorte d'incompréhension euphorique me fait monter les larmes aux yeux. Une espèce de rictus nerveux envahit ma bouche et je reste hébétée devant ma copie. Alors d'un coups, comme si la jubilation m'avait vidée de mes dernières forces, la fatigue s'empare de moi, s'abat lourdement sur mes épaules et m'oppresse, vainqueur.
D'autre fois, c'est l'inverse: je somnole tranquillement sur mes notes quand le professeur nous distribue l'extrait d'un auteur dont le nom résonne à mes oreilles: Polybe. Polybe. Polybe. À cause de lui, je me suis crevé les yeux sur mon écran jusqu'à des heures indues pour en savoir un peu plus sur la mort d'Archimède, sur le siège de Syracuse, sur Hiéronyme. Les souvenirs sont frais. Je suis contente de voir que mes recherches ont servi. Le professeur commence la lecture de la voix douce, en une sorte de berceuse. Il nous conte l'histoire de cet homme qui se lia d'amitié avec Scipion Emilien. Le texte avance, mes idées s'agitent, mon esprit mal tourné aussi; le texte avance et ne fait que m'encourager dans ma voie. Je n'y tiens plus: j'observe attentivement la photocopie. P.1101, Histoire ed. La Pléiade. Ce n'est pas moi, c'est le texte. Je vois double tout d'un coup, et intérieurement, je souris jusqu'aux oreilles. Crise de jalousie: mon ricanement bête résonne dans la boîte vide de mon cerveau. En sortant de cours, j'aurai l'envie saugrenue d'écrire une fic sur des auteurs grecs et des hommes politiques latins. Je ne sens plus ma fatigue: je suis légère et souriante.
Lorsqu'en thème latin je comprends non solum qu'il faut savoir traire les brebis et faire du fromage, sed etiam connaître l'histoire de la prison et de l'incarcération pour éviter les md et tmd qui jalonnent mes copies, la fatigue revient à l'assaut. Et je ris silencieusement. Et je baille. À tel point que mes yeux pleurent.
Une pensée pour melendili en écrivant Rogerius, rex Siculorum. Une autre pour el Teckel en traduisant un texte grec sur « l'amour discret unissant Achille et Patrocle » (dixit M. le professeur, traduisant la pensée de célèbre Eschine). Une pour Lu et Mimy en discutant avec une fan de Hegel et de Benjamin (preuve que l'on trouve tout en Lettres Classiques). Une autre pour la Chaussette en révisant ma culture gé, mélangeant allègrement dates et générations d'empereurs.
Bref, une bonne semaine, malgré le manque de sommeil flagrant et le devoir d'histoire latine qui m'attend demain matin. Je pense bien à vous,
Inci