Je ne ferai
jamais d'anglais! Je ferai allemand-espagnol.
J'étais ferme, et ma décision était sans appel.
Je ferais de l'allemand. Et c'est ce que j'ai fait. Mais la moral de
cette histoire nous apprend qu'il ne faut jamais dire jamais.
L'allemand. Qu'est-ce que j'ai pu aimer ça! C'était
parfois la seule matière qui me permettait d'apprécier
ma semaine au collège. Une grammaire d'un logique implacable:
il suffit d'appliquer bêtement les règles et ça
marche, comme en mathématiques. Des phrases construites et
d'une rigueur rassurante. En plus, c'est elle qui était une
vraie crème. Certes, elle se faisait marcher sur les pieds,
certes peu écoutaient ses cours, mais un professeur qui m'a
permis d'acquérir les bases grâce auxquelles je m'en
suis sortie au lycée, puis au baccalauréat.
Et il y avait aussi l'échange. Ah! L'échange... réservé
aux cinquièmes et aux troisièmes. Je l'ai fait. Les
deux fois. Il y a eu des problèmes. Les deux fois. Oh, ça
se passait toujours à merveille sur place: je m'adapte
facilement et ai horreur des complications. Alors si quelque chose
n'allait pas, je me contentais d'attendre le retour à la
maison. J'y ai vécu des expériences que je n'ai pas
vraiment appréciées: une soirée en boîte
(ma correspondante m'a proposé de rentrer au bout d'une heure
quand elle a vu à quel point je m'ennuyais) – soit dit en
passant, la boîte s'appelait la Schildkröte, la
tortue, – et une soirée dans une pizzeria où 80% des
gens présents ont fini ivres ou complètement
''shootés'' par les joints qui tournaient. Je ne savais plus
où me mettre. Quand nous sommes rentrés, j'ai suivi ma
correspondante qui ne marchait même plus droit... Mais à
part ces quelques incidents, rien de bien grave. Non, le problème
c'est quand elles sont venues. La première n'a pas
ouvert la bouche de tout son séjour: ni bonjour, ni merci, ni
merde! Et la deuxième ne pensait qu'à sortir au
skatepark, endroit où ce retrouvaient tous ceux de mon
âge et que j'avais (et que j'ai toujours du reste) en horreur.
Quand je lui ai dit que non je ne pouvais pas l'accompagner, que
j'avais des devoirs, elle m'a fait fait la tête! Non mais je
vous jure... Et le pire de tout ça, c'est qu'elle a réussi
à me faire complexer: pourquoi suis-je si différente?
Je n'aime pas sortir, je n'aime pas boire, je refuse catégoriquement
de fumer... (Autant vous dire que je refuse encore et toujours de
fumer!). Bref, deux ratages qui ne me firent pas perdre espoir.
J'entrai sereinement au lycée.
Seconde: « Il reste des places pour partir à
Heidelberg dans le cadre d'un échange, ça vous intéresse? »
Évidemment, je saute sur l'occasion. Magnifique voyage, une
correspondante fort sympathique avec laquelle j'ai parlé comme
je ne l'avais fait en quatre ans. Petit bémol: je me découvre
une allergie au tabac en attrapant une laryngite après avoir
suivi ma correspondante dans un café trop enfumé. 39°
de fièvre m'ont fait manquer la visite du château. Cinq
mois plus tard, on m'annonce qu'elle refuse de venir en France. Comme
une abrutie, je prends la décision d'accueillir une autre
correspondante. Celle-ci chope un rhume et veut rentrer chez elle. Je
lui cède ma chambre. Elle veut changer de famille. C'est chose
faite. Je n'aurai plus de correspondante avant au moins cinquante
ans!
Tous ces échecs successifs m'ont complètement
découragée. Après cela, je n'ai plus eu aucune
motivation en cours. J'ai arrêté du jour au lendemain de
fournir des efforts. Je n'ai plus travaillé que sur mes bases.
Mon vocabulaire s'est évaporé peu à peu. Ma
moyenne a baissé, mais je n'en avais cure. Je donnais tout à
l'anglais! Je ne rêvais plus que d'une chose: arrêter
l'allemand. Et c'est chose faite.
Cependant, j'ai eu un pincement au coeur quand, à l'épreuve
de LV1 au bac, j'ai levé la main en même temps que le
troupeau des anglicistes. Si je n'avais pas échangé mes
langues au bac, j'aurais pu lever la main fièrement avec les
deux autres élèves d'allemand LV1. Au lieu de ça,
j'ai renié ma promesse faite en CM2 et j'ai fait comme tout le
monde... Ma fierté en a pris un coup, mais je ne regrette pas encore mon choix.