La fac. La fac. La fac. Voilà un mot qui fait rêver
de nombreux lycéens, un mot que nous envie certains prépaïens,
un mot qui fait rire les Xavier et autres Wendy. Pourtant, ce n'est
qu'un diminutif. La fac. La fac, c'est surtout des monceaux de
préjugés et d'idées reçues.
Tu n'es pas obligée d'aller en cours, tu peux sécher
autant que tu veux, c'est le pied!
Certes, mais ça t'avance à quoi, le jour de l'examen?
On ne travaille pas, on n'a pas de devoirs ni à la
maison, ni en classe. Allez
déclamer ça aux professeurs! En latin et en grec, ils
travaillent sur de l'acquis oublié qu'il nous faut réacquérir
avant de se lancer dans le monceau de préparations et de
révisions et de vocabulaire. Et puis, si l'on ne le fait pas
soi-même, on se retrouve pris au piège. Tu es
libre, tu as plein de temps pour traîner et sortir.
Ne vous avisez pas de le crier aux lettres classiques qui, s'ils ont
moins d'heures que les prépaïens et les doubles cursus,
en ont plus que toutes les autres filières, et surtout, ont
les horaires les plus pourris qui soient, comme dans tout
établissement scolaire qui se respecte. Mais tout ça,
on s'y fait, et puis le contenu des cours rattrape l'ensemble.
Automate, se lever trois heures
avant le début des cours, partir deux heures avant. Bus.
Train. Métro. Métro. On y est. En journée, il
n'y a personne; à six heures du matin non plus. Mais en heure
de pointe: laisser passer le premier métro, on prendra le
suivant. On n'entre pas dans le suivant non plus. On force pour
entrer dans le troisième, ou s'être levé
aux aurores pour arriver à l'heure n'aura servi à rien.
Bousculades, pieds écrasés, coups. Bruit. Grincement.
Brouhaha. Chaud. Froid. Courant d'air. On suffoque. Dans l'anonymat
de la foule, on croise de tout et tout le monde. Mais personne ne
nous voit. Le Parisien ne vous regarde même pas lui tenir la
porte. Il passe, royal et méprisant. Impression de ne pas
exister.
Automate, monter les escaliers.
Trouver sa carte d'étudiant, la sortir, la montrer, la ranger.
Monter les escaliers. Il fait froid. Avancer, seul dans les couloirs.
Pas de bonjour échangé, pas de sourire, pas de regard
croisé. Rien. On est seul et on le reste. L'étudiant
passe, solitaire et égocentrique. Impression de ne pas exister.
Automate, penser le chemin du
retour. Montparnasse? Invalides? Saint Lazare? Automate, je suis mes
pas et mes envies. Je ne réfléchis plus. J'ai gratté,
robot, toute la journée. Mal dans la main, dans le poignet et
dans le bras, jusque dans l'épaule. Bizarre. Une élève
qui demande la même chose, à tous les cours, toutes les
semaines, inlassablement. Impression de parler dans le vide. De ne
pas exister. Entrer dans la cuisine, l'estomac vide. Quand la mère
n'est pas là, les deux goinffres ont mangé ce qu'ils
ont trouvé, sans penser qu'il y en restait une qui n'avait pas dîné.
Poêle sale dans l'évier, tuperware vide sur la table.
Reste deux œufs et rien. Quand je vois mon père, à
peine un hochement de tête. Impression de ne pas exister.
J'entre dans ma chambre, traînant
ma non-existence. Des vêtements en tas, des piles de feuilles
volantes, pochettes, livres, dictionnaires. Est-ce donc cela mon
existence? Ces amas de choses informes... au moins, je sais que je
suis là, que c'est moi qui ai mis le bazar et je me sens un
peu mieux dans ce fouilli. C'est moi partout, et il n'y a rien qui ne
m'ignore: je marche sur tout ce qui traîne, rappelant ainsi aux choses que je suis là. Mais elles ne m'envoient pas de réponse.
Et si je n'existais pas? [Je
n'existe pas, je n'existe pas. Et pourquoi pas?] Apaisement au violoncelle: merci Bach.