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Vous en parlerez à votre cheval...
27 octobre 2010

Beauté et mystère de la grammaire

Au début, c'est une comptine, un rythme que l'on intègre en chantant, un rythme lent comme les battements de mon cœur ou plus rapide, si je me précipite. On conjugue, puis on décline, naturellement, on récite dans une régularité parfaite. On guette la forme qui ne sera pas exception. On recherche sa forme idéale, qui se décompose parfaitement : radical – la racine, l'origine, l'ancêtre du mot qui lui donne tout son sens, celui sur lequel on peut raconter des histoires et grâce auquel toutes les branches de l'arbre généalogique se remplissent ; suffixe – la béquille, la baguette magique qui modifie légèrement le sens du mot, lui donne un aspect différent, qui a le pouvoir de rendre un verbe au passé, de l'envoyer dans l'oubli, ou au contraire, de l'expédier dans le futur, dans le « pas encore accompli », et s'il est conditionnel, il se fera souhait et espérance ; terminaison – ruban dans la coiffure, rideau dans une pièce, ornementation ultime, qui parachève la forme et la rend complète.

Décliner, conjuguer, comme on respire ou comme on fredonne « Au clair de la lune » ou comme on récite un « Notre Père ». Naturellement, sans forcément comprendre. Puis vient le moment où les formes se recoupent, on voit l'accusatif en -m, on admire ces similitudes, on s'extasie devant l'économie de moyens mise en œuvre – ou plutôt devant cette régularisation forcée. On couve le paradigme du verbe être d'un œil d'antiquaire, avec ses reliquats d'indo-européen, on finit par l'aimer ce verbe irrégulier. On élargit notre vision, on se fait comparatiste, on déniche des similitudes où l'on n'aurait rien vu avant.

Puis, moment ultime de l'utilisation de toute cette beauté mathématique, mise en pratique. Devant le mystère d'un texte, l'analyse fuse, on réfléchit à peine, on souligne, encadre, entoure, gribouille le texte, jusqu'à ce qu'il rappelle les tableaux de Pollock. C'est une énigme que l'on doit résoudre, un code secret que l'on doit déchiffrer. Le sens apparaît peu à peu, la lumière se fait. La beauté du texte nous éblouit, et la traduction reste imparfaite, insatisfaisante, frustrante. Mais on a vu la construction parfaite du texte, on a vu sa grammaire, sa logique interne, sa colonne vertébrale et toutes ses articulations. On l'a admiré et son éclat nous a été offert le temps d'une analyse.

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Commentaires
I
Je ne mérite peut-être pas une telle comparaison... Erik Orsenna est un véritable génie de la grammaire (au sens "génie de la lampe", protecteur). Et sa "Grammaire est une chanson douce" est un livre que tout le monde devrait avoir lu sur cette planète! (En tout cas dans ce pays ^^)<br /> <br /> Et oui, Mado avait quelque chose d'assez extraordinaire dans sa façon d'enseigner le latin...
I
Ooooh! Comme tu y vas!<br /> Et puis je suis sûre que tu conjugues tes efforts pour ne pas te laisser aller ^^ Décliner... on aura tout entendu! Ton esprit est bien loin de décliner, ça c'est sûr (et c'est le plus important)!
I
Mais je t'en prie! Je n'avais pas penser que ce post aurait cet effet-là, mais tant mieux! La grammaire - même dans ses irrégularités - a toujours ses raisons, qui font qu'on lui pardonne ses tours de passe-passe et ses infidélités :-)
I
Reconnais qu'une femme parfaite n'est pas aussi charmante que celle qui est jolie mais a un petit quelque chose "d'imparfait" qui la rend véritablement belle. Un peu de sel qui lui donne sa personnalité, si tu veux. C'est ce qui fait qu'elle n'est jamais ennuyeuse, jamais répétitive; elle se préserve de la routine.<br /> (Sans compter que c'est sous sa forme imparfaite - de l'indicatif ou du subjonctif - qu'elle est la plus belle et la plus régulière!)<br /> La grammaire a ses défauts, mais ils ne font que la rendre plus séduisante à mes yeux ;-)
M
Inci, la Erik Orsenna de la grammaire latine !<br /> (cela m'a rappelé Mado qui orchestrait le "cui, cui, cui" du datif)
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