Frater, eris, m
Lui qui d'ordinaire est une si forte tête, lui qui ne laisse souvent rien paraître, ou pas ce genre de choses en tout cas, ce soir a craqué. Il pleurait, comme lorsqu'il était petit. Et il ne pleurait pas d'émotions contenues, mais parce qu'il doutait. La fatigue, l'angoisse, la douleur, la perte, tout s'est amalgamé, et il s'est dit d'un coup qu'il n'avait peut-être pas fait le bon choix quand il en était encore temps.
C'est vrai, souvent, il m'exaspère. J'ai parfois des élans de violence mal contrôlée lorsqu'il m'énerve trop. Je peux être blessante, très. Mais au fond, je l'admire, ce petit frère.
J'ai toujours été tellement fière de le voir danser sans se soucier du Qu'en-dira-t-on. Tellement fière et heureuse de le voir, brillant au milieu de la scène et des autres danseuses, médiocres à ses côtés. Souvent, on me parlait d'une telle, ou de telle autre. Qui est-ce? Demandais-je alors, trop occupée que j'avais été à n'avoir d'yeux que pour ce petit frère si beau dans ce qu'il aimait.
Il a commencé lorsqu'il n'était pas encore à l'école primaire. Et il n'a jamais arrêté, gagnant tous les ans en maturité et en grâce. Il a passé brillamment le collège, malgré les railleries des pré-adolescents, qui savent être méchants comme personne. Il n'en avait que faire. Et le voilà au lycée. Il passe le bac cette année. Et il n'a jamais autant dansé. Il n'a jamais autant aimé ça.
Juste parce que je n'aime pas le voir douter de ses choix, parce que je ne veux pas qu'il balance l'école pour danser – sous prétexte qu'après il sera trop tard – parce que je m'inquiète pour lui. Juste parce que je déteste le voir pleurer, parce que je déteste ressentir au fond de moi ce pincement de le voir lui, d'ordinaire si fort, si affaibli et perdu. Pour ça, je voudrais que la Terre entière, Urbi et orbi, sache qu'il est le meilleur. Oui, c'est le meilleur des petits frères.