Il est dix-sept heures trente, je sors
du train. À Saint-Lazare la foule est dense à cette heure-ci.
L'idée-même de la ligne 13, bondée, débordant de corps suants et
poisseux, me donne la nausée. Je n'ai guère envie de descendre sous
terre alors qu'il fait aussi lourd. L'air est doux, un peu collant. Je me mets donc en marche. Une idée fixe en tête:
rejoindre la Porte de Vanves à pied, sans autres plans que ceux que
je trouverai sur les bouches de métro et les arrêts de bus. Il est
dix-sept heures trente, je sors de la gare Saint-Lazare.
Je m'avance un peu au hasard dans ces
rues larges et fourmillantes. Sur le boulevard, ou la rue, ou
l'avenue, dont j'ignore le nom, les voitures se pressent dans une
cacophonie assourdissante. En attendant de trouver chemin plus calme,
le Dies irae tente tant bien
que mal de couvrir le boucan.
Je
m'avance au hasard. Je sais que je dois aller vers le sud, en
quasi-ligne droite. Malheureusement, où trouver le sud quand on sort
d'une gare aussi grande? Alors je prends les rues en suivant mon
flair. Je me retrouve place de la Madeleine. Pas trop mal: c'est la
station suivante sur la 12. Prochaine étape: Concorde. En suivant
ainsi le trajet de la ligne 12, je finirai bien par me retrouver sur
la rue de la Convention, ou même Porte de Versailles.
Je
prends un boulevard, au hasard. Large. Une trouée de lumière.
Derrière, l'imposante Madeleine. Devant, la place de la Concorde
s'ouvre à mes regards. Superbe. Si je passe par les Tuileries, je
retrouverai la passerelle du Musée d'Orsay, et Solférino, sur la
12. C'est pas mal. Je poursuis. Les Tuileries, l'ombre des arbres,
les contre-allées désertes. Et le passage sous la rue, la
passerelle qui enjambe la Seine. À droite, le Grand Palais, le pont
Alexandre-III. Le soleil qui raye les nuages sombres. À gauche, dans
un camaïeu de gris, au loin, les tours de Notre-Dame. Saint-Michel
est à gauche. Il faut que j'aille tout droit. Rue Solférino, c'est
bon, je suis dans la bonne direction.
Puis
arrive le sixième arrondissement. Je prends des rues au hasard, je
retrouve quelques noms connus: Vaneau, je suis sur la 10, Babylone,
ah, la 12 et la 10 se croisent, il faut que je continue tout droit,
vers le sud. Sèvres, on est pas loin d'une station de métro.
Vaugirard! Enfin! Je connais cette, j'y fais cours, et j'ai déjà
fait le trajet à pied jusque chez moi. Malheureusement, c'est une
des rues les plus longues de Paris, et je ne sais plus trop de quel
côté la prendre. Une station de Vélib' arrive à point nommé.
Petit plan de quartier, et hop! Je réalise alors que je ne suis qu'à
Montparnasse, et qu'il me reste encore pas mal de chemin...
Qu'importe, je continue.
Rue
de Vaugirard. Mon sens de l'orientation est gêné, j'ai l'impression
que je ne vais pas dans la bonne direction. Lorsque j'arrive sur le
boulevard du Montparnasse, impossible de retrouver cette rue de
l'autre côté. Alors je prends Falguière, sur la 12 également. Je
ne devrais plus être loin de Pasteur. J'avance et commence à
m'inquiéter: me serais-je trop éloignée? Quand soudain, une rue
large, des marronniers en son centre: le boulevard, ou la rue je ne
sais plus, Pasteur. Je traverse. Je vois un 95 à contre-sens, c'est
bon signe: il passe juste à côté de ma rue.
Je
poursuis, toujours un peu au hasard. Je commence à avoir mal aux
pieds. Ça commence à faire long: déjà une heure et demie que je
marche. Une rue au nom bizarre, à gauche, les lignes de Montparnasse
qui coupent le quartier. Une rue affiche « XVe
Arrondissement », je souris. Je croise la rue Littré, la rue
Platon. Et je me retrouve le long des voies de chemin de fer. C'est
un peu la zone, il n'y a pas un chat. Ça fait déjà belle lurette
que j'ai fait taire la musique à mes oreilles, pour profiter des
bruits de la ville. À gauche, une halle aux huîtres. Tout à fait.
L'odeur de poisson m'assaille, et je m'empresse de continuer. Je ne
devrais plus être très loin.
Soudain,
une barre d'immeubles qui me semble familière. Un panneau qui
indique la ceinture ouest. Des arbres, de grands acacias. Le bruit
qui s'est apaisé. Je suis tout près! Mon pas s'accélère, le
cheval sent l'écurie, comme on dit. À droite, encore à droite.
Dans mon impasse, cette odeur unique d'acacias et de glycine, les
jardins débordant de feuillage et de fleurs. Cette impasse, c'est
chez moi, et je suis arrivée.
J'ai
marché deux heures. Il me reste trois étages à monter.