Bon, alors, telle que vous me voyez là (même si vous ne me voyez pas), je suis complètement dépitée. En effet, je viens de passer une heure au moins à vous concocter un très joli post sur mon dernier cours de linguistique française, que j'ai tout bonnement adoré quand les autres classiqueux s'effondraient sur leur cours, désespérés. Où est le problème, allez-vous me dire. Et le problème est le suivant: ma page firefox refuse de lire tous mes symboles et les remplace par d'affreux points d'interrogation. Je ne suis décidément pas soutenue dans mon amour de la langue. Sniff. Pour contrer ce mauvais sort, je vais vous mettre le document en lien, alors s'il-vous-plaît, promettez-moi d'aller y jeter un coup d'oeil, que je ne l'aie pas écrit pour rien...
Lever:
5h30 Départ: 6h20 Arrivée: 9h30 Petit-déjeuner.
Sieste matinale jusqu'à: 12h15 Tour du jardin: sous la
pluie Déjeuner: en ville Sieste jusqu'à:
17h30 Grec moderne, tour dans le jardin Dîner:
21h30 Coucher: 22h30 Dodo
Dimanche.
Levée
à sept heures et demi, j'attends que mon père revienne
avec du pain frais. Après un petit-déjeuner consistant
fait de thé-pain-Nutella, je m'attelle à mes révisions
de grec moderne pendant que le paternel se rendort sur un Sudoku
inachevé. À neuf heures quinze précisément,
je quitte la maison avec mon appareil photo en poche, ma veste sur le
dos et mes vieilles fausses-converses-sans-lacets aux pieds. Et je
m'en vais, sur la petite route perdue au milieu des champs. Il n'y a
personne. Derrière les nuages gris, le soleil se montre,
timide. Un petit vent humide agite les épis verts du blé.
Je ne vois devant moi que la route goudronnée, et à mes
côtés, l'étendue infinie des champs. Stop.
J'arrive sur la départementale, beaucoup plus passante; les
voitures vont vite. Je me range sur le bas-côté, le plus
loin possible du bord de la route. Les graminées m'arrivent à
la taille et sont lourdes de rosée et de pluie. Bien vite, mes
chaussures et chaussettes sont trempées. Mais je continue.
Arrivée au rond-point, je fais demi-tour. Une heure et six
kilomètres plus tard, je suis de retour dans mon jardin, le
sourire aux lèvres et le silence dans les oreilles.
18h:
nous sommes dans les embouteillages à Coignères.
Bientôt, nous serons de retour à la maison. Je n'en ai
aucune envie. Le grec moderne, c'est beaucoup mieux à la
campagne.
Demain, retour au vert: je m'en vais réviser mon grec moderne et mon histoire de la littérature latine de l'Empire à la Renaissance, dans ma maison de campagne, parmi les chèvres... changer d'air me fera le plus grand bien! A bientôt amis lecteurs.
-
Que fais-tu sur cette page blanche, alors que tu n'as rien à
dire et que Macbeth t'attend
avec impatience?
-
Comment cela je n'ai rien à dire?
-
Non, tu n'as rien à dire. Tu n'as d'ailleurs rien posté
depuis dimanche, tu n'es absolument pas sérieuse, Inci.
-
Oh, toi ça va! Ferme ton clapet, espèce de rabat-joie.
-
Les insultes sont interdites sur cet espace publique.
-
J'ai encore le droit de t'insulter, sycophante de mes deux, puisque
je suis chez moi, jusqu'à preuve du contraire.
-
Bref. Que fais-tu ici alors que tu dois réviser ton partiel
d'anglais, qui, pour information, a lieu demain?
-
Eh bien je me détends, et j'écris.
-
Je vois bien que tu écris. Mais faut-il que je te rappelle
que tu n'as assisté qu'à deux cours d'anglais ce
semestre, et que tu dois donc au moins relire la pièce?
-
Bon, bon, ça va. En même temps, ce n'est pas comme si je
n'avais rien fait cette semaine.
-
Hum... permets-moi d'émettre quelques doutes là-dessus.
-
Non.
-
Comment ça non?
-
Non, je ne te permets pas d'émettre des doutes. À mon
tour de jouer les moralisatrice: que fais-tu de ces trois jours
passés à bosser mon dossier sur l'Apocalypse, non-stop,
avec en tout et pour tout cinq heures de sommeil dans le sang? Que
fais-tu de cette nuit dernière passée à traduire
Quintilien? De ces journées à trimballer les douze
kilos du Bailly ou du Gaffiot? De cette nuit passée à
réviser Platon? À préparer Pétrone? Et
que vas-tu faire de ce partiel de grec moderne qui se profile la
semaine prochaine? Et de celui de culture général
latine? Ose encore dire que je n'ai rien fait!
-
...
-
Bien. Parfait, même. Je vais donc pouvoir écrire.
-
Et que vas-tu écrire? Je te rappelle que tu n'as pas d'idées.
-
Et alors? Je suis sûre que le récit de mon premier
entretien d'embauche va les intéresser.
-
Euh...
-
Oui, bon, d'accord, peut-être pas. Alors, peut-être mes
projets pour l'an prochain?
-
Mais tu n'en as pas!
-
Certes, mais et alors? J'ai peut-être des projets pour les
semaines à venir?
-
Tu n'as pas tes partiels dans les semaines à venir? Tu sais,
ces espèces d'examens qui se déroulent sur une période
indéterminée et qui te bouffent tout ton mois de juin ou presque? Tu sais, ces textes que tu dois réviser, parce
qu'en lettres classiques, tu as droit à cinq oraux (il est
bien connu que le latin et le grec ancien se parlent encore
couramment).
-
D'accord, mais ce n'est pas parce que j'ai des examens que je n'ai
pas envie de faire
autre chose. Par exemple, j'ai très envie d'écrire des
fics. J'aimerais avoir le temps de lire la Divine comédie
de Dante, et toutes les bandes
dessinées de la bibliothèque. Et je voudrais prendre le
temps de me mettre vraiment à l'html et aux autres langages
informatiques, et peut-être qu'un jour, je serai mon propre
hébergeur...
Après-demain,
neuf heures, m'attendra sur ma table un magnifique sujet de
littérature grecque. Socrate en retard? Aristophane et ses
hommes-boules? La naissance d'Éros?
En ce moment, mes six textes d'une longueur considérable
m'attendent sous mon nez. Mais je n'arrive pas à m'y mettre.
J'ai
très envie de finir mon dossier sur l'Apocalypse: mettre en
page les illustrations de Dürer et Doré, faire quelques
recherches complémentaires sur le genre ''science-fiction
post-apocalyptique'', comparer assidûment les fléaux des
sept coupes et les dix plaies d'Égypte...
Envie
d'écrire des aventures pitoyables, de décrire des héros
boulets, de dessiner des êtres ressemblant à des humains
(parce que le résultat est plus que souvent douteux).
Envie
de me replonger dans mes généalogies des fondateurs:
écrire la vie de chacun des membres de la famille Slytherin,
inventer l'origine de Helga Poufsouffle, dessiner les écus de
la famille Serdaigle et créer de toutes pièces une
lignée de Gryffondors.
Envie
aussi de cuisiner. Passer des heures aux fourneaux, réaliser
des recettes dans lesquelles je ne m'étais encore jamais
lancée, et refaire mes préférées. Faire
de l'hypocras. Des gâteaux. Des entremets. Et les manger.
Envie
de sortir au soleil, de marcher dans la forêt, aller voir où
en sont les acacias. Respirer de plus près la glycine dont le
parfum me parvient par la fenêtre grande ouverte de ma chambre.
Envie
de partir, de bouger. Aller à Limeuil et passer des journées
abrutissantes à arracher orties et mauvaises herbes, à
tondre, tailler et couper. Pour m'endormir le soir, courbaturée
mais apaisée.
Parce
que j'en ai assez de me dire qu'il faut que je travaille mais de ne
rien faire. Assez de m'angoisser pour des devoirs qui ne compteront
même pas dans la moyenne. Assez d'assister à des cours
sans intérêt (pour certains) alors que le soleil brille
dehors et que le beau temps nous appelle.
Vue:
la pesée du sucre et de la farine, le chiffre qui évolue
sur la balance digitale. Pas assez, pas trop, précision et
rigueur.
Ouïe:
le fouet qui bat les œufs dans la jatte, un bruit creux et liquide,
régulier et rapide.
Toucher:
le blanc d'œuf
qui poisse sur les doigts, l'aigu de la coquille d'oeuf sur le pouce
qui ouvre.
Goût:
celui, doux et chaud, de la peau du lait, qui s'est formé sur
le liquide bouillant.
Odorat:
le parfum fort et sucré, exotique aussi, du liquide ambré
que contient le petit bouchon noir de la bouteille de Saint James.
Une fragrance qui évoque les îles et leurs plantations.
L'odeur du rhum.
Ma
montre indique qu'il est plus de dix heures déjà.
Xénophon me lance des appels désespérés
depuis plusieurs semaines. Il me reste moins de
dix-sept heures avant de rendre ma version définitive en
français. Pour me donner contenance et bonne conscience, j'ai
souligné les verbes, ondulé sous les participes et
pointillé sous les infinitifs. Enfermé les coordonnants
dans des bulles et les subordonnants dans des prés carrés.
Chaque nom a trouvé chaussure à son pied et vit
désormais en tête-à-tête avec son article,
à l'abri de ses parenthèses. Bref, j'ai fait le plus
gros. Il ne me reste plus qu'à chercher le vocabulaire
manquant et à traduire. Mais je n'ai pas de courage.
Cela
fait plusieurs mois que je me traîne comme une loque, une
chiffe molle. Je fais le strict minimum, qui ne suffit pas toujours.
Cette impression d'inutilité me pèse sur l'estomac.
Qu'est-ce que je veux faire après tout ça? Je n'en sais
rien. Je fais, on verra bien. Il n'empêche. Ça me fait
peur, et je ne me sens capable de rien. Je ne suis pas capable
d'atteindre le niveau dont je rêve. Je ne suis pas assez
combative pour ça.
Cette
envie de lâcher prise, de me laisser porter par le courant me
tenaille. Ce désir d'aller au plus simple et au plus agréable
me harponne. Pourtant, je sais que je n'irai pas loin ainsi. Surtout
par la voie que j'ai choisie. Le sentier des lettres classiques est
long et épineux. Si l'on s'épuise avant l'arrivée,
il y a toujours des chemins de traverse, mais qui nous font
abandonner notre parcours vers d'autres voies. Et je n'ai pas envie
de changer. J'ai juste besoin de courage.