Souvenirs et galets blancs
Les habitudes semblent me coller à la peau, et s'en défaire est de l'ordre de l'impossible. Je m'asseois dans le bus, à la même place que d'habitude. Je monte dans le train deuxième wagon, deuxième porte et m'installe « à contresens ». J'observe par la fenêtre.
Un soleil blanc derrière un voile nacré. Des lambeaux de vapeur s'étirent dans un ciel qui hésite entre le bleu et le gris. De gros cumulus ouateux et rebondis circulent, anthracites en dessous, nimbés d'argent et de lumière sur le dessus. Une atmosphère indécise.
En attendant, je regarde ce grand bâtiment. Le soleil perce au travers du feuillage et me goutte sur le visage. C'est grand, et impressionnant quand on n'est pas à l'intérieur. Bientôt, les élèves sortent. J'attends. Et ils arrivent. Quelques mots échangés avec Melendili, Mimy, Marcel. Puis je suis la Marmotte dans les étages, comme si je n'avais jamais quitté le lycée. C'est amusant, j'ai l'impression d'y avoir été hier.
Au fond du couloir, une voix reconnaissable entre mille. On se plante dans l'encadrement de la porte. Mme P. s'excuse auprès de ses élèves et vient nous saluer. Nous discutons de tout, de rien, comme des amies de longues dates. C'est étrange, mais pas désagréable. Et nous repartons. Tous ces escaliers sont comme imprimés dans mes pieds. Je pourrais les descendre les yeux fermés.
Un thé chez la Marmotte. À trois autour d'une table, à raconter nos vacances, à parler prépa, fac, latin, MLD etc. Le temps passe. Et nous partons: toi pour ton cours de violoncelle, moi pour rentrer. Tu descends avant moi. Je reste dans le wagon, seule avec mes pensées.
Dans le bus, une vieille connaissance: le chauffard femelle. Peut mieux faire comme rencontre. En descendant du bus, automatiquement, mes pas prennent le chemin du retour. Il y en a plusieurs possibles, mais ils optent pour le plus court, celui que j'ai pris l'an dernier, la plupart du temps.
Je ne sais pas pourquoi, je repense à tous ces gens que j'ai connus depuis la sixième. C'est amusant comme j'ai effacé mes années collège. Je n'ai presque plus de contacts de cette période, et peu à peu, ils semblent s'effacer. Plus rien ne me rattache à ma scolarité arcysienne. Un peu comme si j'avais perdu les galets blancs que j'avais semés. Au fur et à mesure, je les ai enterrés sous mes années lycée. Mon passé semble avoir disparu physiquement: il n'en reste que quelques déchirures dans mes souvenirs. C'est peut-être mieux comme ça.
Le ciel pâlit et rosit. Le soleil se couche. Demain, je vais à l'université.