Robinson
Il était une fois, une grande maison au bord de la Loire. Au fond de l'immense terrain, des orties, des ronces, arbres et arbustes à foison, et si on a le courage d'aller plus loin, la Loire... Le seul voisin est un camping désert les trois quarts de l'année. Devant la maison, une petite route, où personne ne va jamais que nous. Et de l'autre côté de la rue, des jardins potagers. L'un d'entre eux est couvert de plants de patates; c'est le nôtre. Cette maison est isolée et personne ne viendra jamais construire dans cette forêt vierge: elle est en zone inondable.
Voilà dix ans que je n'y ai pas mis les pieds. Il ne me reste que des souvenirs. Des images, tellement précises que j'ai l'impression d'y avoir été hier, à Robinson. Une terrasse en béton avec une glycine énorme qui embaume au printemps, une grande pièce qui sert de cuisine, de salon et de salle à manger à la fois, trois chambres, dont la nôtre avec son armoire remplie de vêtements que nous ne mettons que là-bas, totalement dépareillés et sentant l'humidité.
Des volets que l'on ouvre au petit matin avec cette odeur de terre mouillée par la pluie qui vous monte à la tête, les coucous et les pigeons qui s'ébattent dans le jardin avec leurs chants si caractéristiques, le clocher de Bonny que l'on entend au loin...
L'herbe qui arrive aux épaules et nous qui suivons mon père qui tond de façon à faire des chemins dans les hautes herbes. Ma sœur et moi, assises devant le garage (qui donne sur l'arrière de la maison, dans le jardin) et jouant avec la terre. La cabane que nous avons tenté de construire une fois, avec des draps... Les acacias en fleurs, la cueillette desdites fleurs et la confection des beignets de fleurs d'acacias. La récolte des pommes de terre qui remplissent le garage, celle des coings avec lesquelles nous ferons de la gelée, et le plaisir de découvrir le goût des noix fraîches.
Et le grenier. Ce mystérieux grenier qui nous nargue sans arrêt. Il faut monter un escalier extérieur qui menace de s'écouler. Mes parents ont aménagé deux chambres, une de chaque côté d'un petit couloir. Au bout de ce couloir, la porte du grenier. Odeur de poussière, obscurité, bric-à-brac... Jamais je n'aurai de vision plus précise de ce grenier...
Aujourd'hui, la maison a été vendue. Nous l'avons trahie, cette maison construite par un aïeul. Elle est morte, cette maison magique... Il n'y a plus de Robinson.